Article paru dans l’Echo le 27 mars 2018

La valeur créée par l’intelligence artificielle ne peut prétendre que la justice prédictive est née.

Jean-Claude Renard
Avocat, EM in Management Solvay Brussels School of Economics and Management

30 octobre 1938. Un vent de panique traverse les Etats-Unis. Orson Wells lit en direct “La guerre des mondes” à la radio et les auditeurs confondent le roman avec un bulletin d’information. Panique.

13 décembre 2006. La Flandre déclare son indépendance. La RTBF commente en direct à la télévision les premières heures de cette autonomie déclarée unilatéralement. Panique.

2018. Belgique. Le Barreau est mis en garde depuis des mois contre l’arrivée prochaine de l’intelligence artificielle (IA) en droit, qui va provoquer l’extinction des avocats, ou, au mieux, les assimiler à de simples passeurs du droit né de la seule IA. Panique.

La valeur créée par l’IA, agrégateur de données (législation, doctrine et jurisprudence), est la récolte et le traitement d’une base de donnée via des algorithmes qui ne peuvent prétendre grâce à l’e-learning et à l’analyse syntaxique du langage naturel que la justice prédictive est née. L’IA est un “simple” procédé permettant de traiter rapidement des données juridiques afin de mieux motiver un avis juridique.

Déduire d’une base de données et de son traitement une justice prédictive est une malhonnêteté intellectuelle qui veut faire croire que l’IA va assimiler les subtilités de la motivation intellectuelle. D’autant que l’IA peut être qualifiée soit de “simple”, c’est-à-dire qu’elle n’a pas de compétence transversale mais se concentre sur une tâche précise, soit de “générale”, c’est-à-dire qu’elle s’applique à toute problématique du droit.

Dans ce dernier cas, si l’IA devine le sens des mots, elle n’a pas la capacité de déterminer la logique du mot. De plus, l’IA ne prend pas en compte le décalage pouvant exister entre la loi, la jurisprudence et la doctrine avec la réalité économique qui est un paramètre essentiel de l’évolution du droit. Une justice prédictive est donc une vision irréelle d’une justice conformiste et figée qui exprime la fonction mécanique d’un algorithme.

Les développeurs de logiciels de traitement de données en droit se sont affublés du nom “legal tech”, laissant entendre que le résultat est comparable à celui du cerveau humain. Or, l’IA n’a aucune capacité à développer un raisonnement juridique, si ce n’est reproduire des données en les sériant pour créer un outil d’aide à la décision. Elle ne pense pas. C’est la routine qui est menacée, en tant que composante logico-mathématique, et non l’intelligence humaine dont la spécificité se traduit par l’émotionnel, le relationnel et la souplesse d’acquisition des connaissances.

Une aide au diagnostic

L’avantage de l’IA en droit est la vitesse de la recherche juridique et le séquençage des résultats en fonction de l’objectif prédéfini pour les juristes. Cela n’a rien d’intelligent, mais relève de l’analyse. L’effet économique est évident et porte sur les économies réalisées en temps de recherche et par la réponse plus rapide apportée aux clients. L’IA va décupler la capacité du juriste à mieux penser en le déchargeant de tâches répétitives et ennuyeuses et devenir une aide au diagnostic juridique. Ainsi, le cerveau humain sera mis à la disposition presque immédiate de l’analyse et non de la collecte d’informations.

Le marketing faisant de IA en droit la nouvelle génération de juristes s’apparente à une véritable IA washing. On veut faire croire que l’IA dispose de capacités intellectuelles comparables à celle du cerveau humain qu’aujourd’hui on ne peut pas reproduire. Quant aux sources des données juridiques, les big data, l’offre des moteurs de recherche contrôlés par les éditeurs juridiques ne participe ni à l’open access, ni à l’open data. On ne peut le leur reprocher, compte tenu de leur finalité économique. Quant aux moteurs de recherche publics, la facilité d’utilisation ergonomique des bases de données publiques est inexistante.

Enfin, l’accès libre aux sources juridiques et leur utilisation libre doit relever d’une équation algébrique: open access = open data. À défaut, cela n’a pas de sens.

En conclusion, on doit prioritairement s’inquiéter, non pas des applications, mais bien de la pertinence des bases de données en droit, qui constitue la véritable valeur ajoutée de l’IA. En ce sens, il faut s’interroger sur le partage de leurs données entre le secteur public et privé, sachant que ce dernier ne dispose pas des capacités financières pour garder le caractère public d’une IA.