Certaines instructions judiciaires se déroulent en transformant la présomption d’innocence en présomption de culpabilité.

Par Jean-Claude Renard
Avocat & EM Solvay Brussels School of Economics and Management

Si la justice existe, c’est un parcours d’artiste, voire affaire de folie, car parfois la pratique tend vers son contraire.

Ainsi la présomption d’innocence implique que la personne poursuivie en matière pénale est présumée innocente jusqu’à ce que sa culpabilité ait été établie par un Tribunal.

Le respect de ce principe s’applique durant toute la procédure jusqu’au jugement de condamnation. Ce principe oblige le juge à examiner les éléments favorables et défavorables sans aucun préjugé ni parti pris. Il s’applique non seulement au Tribunal mais également à tous les acteurs de la phase préparatoire au procès, c’est-à-dire au Procureur du Roi, au Juge d’instruction et aux Officiers de police judiciaire, auxiliaires du Juge d’instruction. Ces autorités judiciaires se doivent donc, pendant la phase antérieure au procès, d’instruire en toute discrétion et avec réserve.

Présomption de culpabilité

En réalité, certaines instructions judiciaires se déroulent en dehors de ce principe en transformant la présomption d’innocence en présomption de culpabilité.

D’autant que si une inculpation d’un dirigeant d’entreprise se poursuit par une détention provisoire le principe d’innocence devient une véritable sanction pénale.

La mise en détention préventive contredit ce principe puisque le juge d’instruction anticipe que les charges portées à sa connaissance fondent — sans aucun procès — l’infraction qui reprochée au dirigeant. On anticipe donc une peine criminelle, en vue d’une répression immédiate, et ce sans jugement.

On retiendra que le mandat d’arrêt doit notamment faire référence à une absolue nécessité pour la sécurité publique ce qui signifie que sans ce mandat d’arrêt des troubles sociaux pourraient déboucher sur des actes de violence dans l’espace public.

La détention préventive peut donc être utilisée comme moyen pour obtenir au moins une reconnaissance du caractère infractionnel d’un comportement de bonne foi lié à la gestion de l’entreprise. Ce type de mesure peut être arbitraire et pourrait donner lieu à un acquittement.

Prenons le cas d’une entreprise dont un dirigeant est inculpé pour une infraction, par exemple de blanchiment d’argent. On se trouve dans un cas où des déclarations des autorités judiciaires présentant la personne inculpée comme étant coupable s’attaquent en fait à l’entreprise dont cette personne est l’organe dirigeant.

Dans le cadre de l’instruction, un Procureur du Roi ou un Officier de police judiciaire peut prendre contact avec les fournisseurs et les clients de la personne morale dont le dirigeant est inculpé. Et, sans retenue, affirmer l’existence d’une infraction non établie par un jugement et pouvant provoquer une cessation de l’activité commerciale.

Otage de l’instruction

Plus précisément, un Procureur du Roi peut contacter une banque et lui faire part de l’existence d’une instruction. La banque, tenue à une obligation de vigilance renforcée, mettra fin aux lignes de crédits en cours. En parallèle, un auxiliaire du juge d’instruction pourra, au cours d’une descente d’instruction ou d’auditions, provoquer par des affirmations de culpabilité un raidissement des fournisseurs et de la clientèle, voire un arrêt de la relation commerciale, asséchant ainsi le chiffre d’affaires de la société qui devient otage de l’instruction portée contre son dirigeant.

Plus étonnant, est la situation où des clients continuent à avoir confiance dans la qualité de l’entreprise, et ne confondent pas la personne morale et son dirigeant inculpé, mais ne peuvent plus payer les factures de leur fournisseur en Belgique car les comptes bancaires ont été dénoncés.

La société ne peut plus payer ses charges sociales, ses salaires et ses fournisseurs. Le dirigeant est alors parfois amené à utiliser des subterfuges comptables dans l’urgence, et la panique, pour assurer le fonctionnement de son entreprise en utilisant son compte bancaire privé mais en s’enfermant formellement dans une infraction.

En conséquence, il convient d’être prudent et de s’assurer de l’urgence réelle provoquée par cette situation ainsi que de se réserver les preuves écrites que les fonds ayant transité par ce compte individuel ont bien été totalement affectés aux paiements des salaires, charges sociales, impôts et fournisseurs prouvant ainsi l’absence d’intention frauduleuse.