Article paru dans l’Echo le 3 mai 2018

La sécurité juridique entourant la blockchain est à ce jour inexistante. Le Droit doit prendre conscience de son rôle, à défaut de quoi la blockchain n’aura pas d’autres règles de fonctionnement que la technologie.

Par Jean-Claude Renard
Avocat, EM in Management Solvay Brussels School of Economics and Management

La blockchain (suite d’octets stockés sur disque dur ou sur SDD) est l’association d’une technologie de stockage et d’une technologie de transmission d’une base de données (un registre). Cette blockchain, système d’échange d’informations structurées qualifiées de valeurs, n’est pas régie par un organe centralisé de contrôle (serveur central) mais par un réseau décentralisé (peer-to-peer) où chaque participant est à la fois client et serveur. L’avantage: il n’y a plus un organe de contrôle unique, mais une multitude d’organes de contrôle liés au nombre de serveurs des participants.

Une autorité centrale de contrôle sécurise le réseau, fixe les règles de stockage et de connexion et sert de garantie – de confiance – aux participants. En réalité, l’accord du plus grand nombre de participants donne à l’organe central de contrôle une objectivité de la vérité. C’est un consensus, qui peut se révéler également dans la décentralisation, c’est-à-dire dans la blockchain.

Sécurité technique

Dans la blockchain, la base de données n’est plus détenue et authentifiée par un point central du réseau, mais par des nœuds qui ne sont rien d’autre que les ordinateurs des participants connectés l’un à l’autre et non plus à un point central. Le tiers de confiance centralisé traditionnel (la banque, l’État, le notaire, etc.) qui garantit l’objectivité de la valeur, et sécurise son sens, est par conséquent remplacé par un algorithme accepté par tous les participants.

L’un des buts de la blockchain étant de rendre infalsifiable ces données, une mise à jour est authentifiée par l’ensemble du réseau en accord avec le bloc initial encodé. La censure, le piratage ou des attaques deviennent difficiles. Toute tentative de l’un de participants d’altérer les données est compliquée, car ce sont tous les serveurs du réseau qu’il faudra frapper en même temps. La sécurité technique est donc assurée par l’exponentiation des participants.

Nouvelle jurisprudence

Quant à la sécurité juridique à ce jour… il n’y en a pas: comment prouver l’authenticité de l’information, l’identification des personnes contractantes, le souhait d’anonymat, la preuve d’une offre et de son acceptation, etc.? Certains juristes se réfugient dans l’apparition du “smart contrat” qui n’est qu’un code informatique agencé structurellement en système, une modalité d’exécution du contrat et non le contrat lui-même, se positionnant comme l’infrastructure et le support d’une transaction juridique acceptée par les parties et dont l’exécution peut donner lieu à un litige: la résolution du conflit, qui échappe à la codification traditionnelle – civile ou commerciale – du contrat, ne sera pas aisée à appliquer devant une juridiction. On assistera à la naissance d’une nouvelle jurisprudence, créatrice d’un nouveau droit échappant au pouvoir législatif, qui pourrait prendre le pas sur le droit positif des États.

Quant aux LegalTech, elles permettent d’automatiser les tâches de l’avocat grâce à la gestion de bases de données et conséquemment réduire les frais des particuliers. Les greffes, les notaires, tous tiers, qualifiés tiers de confiance, en charge de conserver et de certifier des données à caractère juridique seront menacés dans leur fonction actuelle par obsolescence… non programmée. Par contre, tant la LegalTech que la blockchain pourront décharger les avocats de leurs tâches chronophages et valoriser leur véritable valeur ajoutée.

Le Droit doit prendre conscience de son rôle à la fois dans la gouvernance juridique de la blockchain, pour anticiper les litiges par un nouveau formalisme numérique, dans la création d’une force juridique des opérations effectuées par cette technologie et dans l’outil juridique qu’il représente. À défaut, la blockchain n’aura pas d’autres règles de fonctionnement que la technologie. Cela signifie que la régulation des comportements ne passe plus par des normes juridiques mais par la seule architecture technique représentée par les algorithmes.

En conclusion, il est impératif que les normes techniques afférentes au codage soient comprises par tous les acteurs du Droit. À défaut, le droit positif actuel sera absorbé par des protocoles d’engagement autonomes, rédigés par les seuls codeurs, qui deviendront majoritairement la loi de la communauté citoyenne.