Article paru dans l’Echo le 2 aout 2017

En droit, demeurer attaché à ses seules connaissances livresques (que cela soit en doctrine ou en jurisprudence), s’apparente à un véritable aveuglement.

Par Jean-Claude Renard
Avocat – EM Management Solvay Brussels School EM.

La structure de notre économie, expression quantitative de notre société, quitte une intégration verticale pour une intégration horizontale. Autant dire qu’on quitte sa zone de confort pour voyager dans des zones inconnues. Une prise de conscience de cet état de fait par les professionnels du droit existe-t-elle?

Vu de l’extérieur, c’est-à-dire de la clientèle, l’avocat peut sembler s’enfermer dans une structure monolithique, celle de son cabinet et de ses codes. L’accès à la connaissance juridique se méritant et demandant une démarche parfois laborieuse du client où ce dernier se pense comme une barque flottant sur une mer déchaînée.

L’avènement d’une société digitale, en ce sens qu’il s’agit de rechercher et d’interpréter les données afférentes à chaque membre de notre société, doit permettre aux avocats de sortir d’une tour d’ivoire. L’analyse des flux d’informations et des forces en présence devient essentielle. C’est l’intelligence économique.

Il ne s’agit plus de se réfugier derrière l’accumulation d’un stock de connaissance mais de dynamiser celle-ci en changeant de paradigme. Il faut privilégier le flux, le déplacement, de l’information juridique vers le client mais pas d’une manière linéaire et limité à ses connaissances juridiques mais bien d’une manière pluridisciplinaire. Bref, faire de l’intelligence économique un modèle d’action. Ce qui signifie que l’apprentissage des bases d’autres disciplines devient un must.

L’économie et la finance

Demeurer attaché à ses seules connaissances livresques (que cela soit en doctrine ou en jurisprudence), s’apparente à un véritable aveuglement. L’intelligence artificielle permettra sous peu à quiconque de faire appel à un avis technique sur une problématique juridique et de se passer de l’avis du juriste.

La valeur ajoutée de l’avocat doit donc se mouvoir, en échappant à sa zone de confort, et parfois sortir d’une spécialité pour intégrer celle-ci dans une vision plus large. La compréhension des problématiques soumises par le client doit quitter l’appartenance au seul droit mais intégrer d’autres disciplines dont l’économie. S’y refuser c’est accepter de ne pas affronter le changement naturel de notre société.

La connaissance des mécanismes économiques et financiers devient donc essentielle dans l’application de droit.

Les juristes, au sens large, ont un rôle réel à jouer, tant dans leurs cabinets que dans les entreprises.

Dans de nombreuses entreprises le droit est considéré comme une source de contraintes et de risques alors qu’il doit d’abord être une ressource concurrentielle permettant d’atteindre un objectif économique. Or la césure entre le management (au sens décisionnaire économique) et le juriste (au sens gestionnaire du risque) est l’expression d’un certain autisme, basé, non pas sur la méfiance, mais sur une incompréhension de la compétence de l’autre qui crée un véritable cloisonnement des compétences où le juriste doit minimiser un potentiel de perte et le manager doit maximiser le potentiel de bénéfice. Il n’y a pas de langage commun. Il faut par conséquent développer une nouvelle intelligence économique.

On peut définir l’intelligence en mouvement comme le fait de s’ouvrir aux langages et aux outils de l’autre en faisant l’effort d’assimiler la base des autres compétences. Ainsi l’analyse d’une problématique par une perception différente peut devenir complémentaire. L’apprentissage et la compréhension des outils de gestion par les juristes leur permettront d’utiliser des outils juridiques d’une manière différente que celle d’une approche classique.

Ainsi, la véritable rareté, source de richesse, est le développement d’un engineering juridique pour dépasser l’excès de la spécialisation qui déresponsabilise l’acteur économique, autant le manager que le juriste, dans sa participation à la décision.

Le droit doit être l’outil par excellence pour anticiper un conflit d’intérêts par une identification du champ des risques.

D’une manière plus générale le droit doit comprendre la pratique des affaires tout en privilégiant la responsabilité sociétale de l’entreprise.

En conclusion, droit doit se positionner non seulement en aval de la gestion mais d’abord en amont et devenir un outil d’évaluation macroéconomique que cela soit au niveau politique, économique, social, technologique, environnemental et légal.